Si la grimpe est une source de fierté et une preuve de forme, la descente est, elle, une affaire de technique et de gestion du risque. Elle suscite des sentiments parfois contradictoires qui sont tous solubles dans la décharge d’adrénaline qu’elle procure.
«Death wish!» a crié quelqu’un dans le groupe. C’était sans doute moi et mon humour douteux.
Dix secondes plus tard, je convoquais ma finitude : mes pneus mordaient le tarmac dans le premier de trois virages à haute vitesse dans la côte Gagnon à Saint-Augustin. Le dernier, à plus de 70 km/h. En recherche de vitesse, tout en bas, je regrettais que le moment ait été si bref.
Parce que si j’aime grimper – pour l’effort, la sueur, le dépassement –, rien ne me rend aussi fébrile et euphorique qu’une descente à haute vitesse.
Il m’a fallu un temps avant de saisir la technique appropriée pour aborder efficacement les virages, en particulier dans les cols de montagne qui alignent les lacets bitumés en série. Une fois la manière assimilée, même si je suis loin d’être un expert à ce jeu, je me suis épris de l’exercice, l’approchant avec une sorte de ferveur où se mêlent l’excitation, la peur, le désir de repousser mes limites, l’adrénaline et quelque chose comme le sentiment de vivre un instant pur, sans aspérités, totalement extrait du flot habituel des pensées qui polluent l’évasif – et convoité – moment présent.
Il y a quelque chose de la témérité, de l’acte de foi, de la confiance dans ses habiletés et de la recherche d’expériences trépidantes dans mon amour des descentes. Il arrive que je les craigne. Je ne m’expose donc pas à des dangers inutiles. Mais lorsque l’occasion se présente, je rechigne rarement devant un plongeon vers le niveau de la mer.
La sécurité y est une affaire de jugement, de talent, d’instinct et de chance. Il y a toujours des variables incontrôlables. Dans cette même côte Gagnon, il m’est arrivé de devoir «sauter» par-dessus une branche qui me barrait la route, trop longue pour être contournée. Adrénaline, réflexes et technique ont fait le travail.
Plaisir et danger
J’ai mille histoires de descentes folles, de poursuites endiablées.
La plongée avant la montée de Saint-Irénée au Grand Prix de Charlevoix, dans le peloton, ou à l’avant, alors que je tentais de prendre un peu d’avance pour affronter la grimpe brutale qui s’ensuit. Les mille fois où j’ai fait les Équerres ou Saint-Achillée le couteau entre les dents. Les plongées à l’aveugle, dans le brouillard, pendant la Buckland sur gravelle. Le Tourmalet en dépassant les caravanes. Sa Calobra en faisant mes prières.
Même quand elle fait 10 km, la descente dure un instant. Et son souvenir est impérissable.
Lorsque l’effort est poussé à l’extrême dans les montées, il faut faire taire l’instinct de préservation pour laisser parler l’expérience et les compétences. Pareil pour la descente, qui devient plus dangereuse encore s’il s’agit d’un exercice dominé par la peur.
Il faut bien mesurer le risque. De tomber. De foncer dans une voiture. Dans un arbre. Au fond d’un ravin. Le contrôle de la vitesse et l’analyse du terrain s’apprennent. Mais contrairement à la forme physique, il ne suffit pas d’aligner les intervalles pour développer ses aptitudes de pilote. On est ici dans la physique appliquée, l’apprentissage d’un geste qui, à force de répétition ou grâce à un talent inné, permet de tirer le meilleur d’une descente sans mettre sa vie dans la balance.
La vitesse est une injection d’adrénaline. Sa fugacité et l’effort qui y est attaché – il faudra bien monter avant ou après – lui confèrent encore plus de valeur. Il faut la respecter comme on le fait avec les expériences où le danger et le plaisir s’unissent trop intimement pour ne pas imposer une autorité qui confine à l’humilité.