David Desjardins - Blogueur invité

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Je m’entraîne pour souffrir.

Ce n’est pas du masochisme, c’est une méditation, une ascèse. Je renonce au confort pour plonger mon corps dans un état de détresse qui me conduit vers un territoire qui est celui d’une mystique de l’effort. J’ai mal et je tente de réduire la sensation à l’état d’information. Mes réflexes de survie me commandent d’arrêter, mais j’entraîne ma tête à repousser cette pulsion. Chaque épisode de souffrance me rend plus fort. J’apprends à gérer le mal. Je deviens plus dur.

Je m’entraîne pour me sentir bien. Après l’effort, mes veines palpitent de contentement. Elles irriguent mon cerveau où se répand la plus douce des drogues. Les endorphines me vivifient et m’engourdissent et mes jambes sont légères, comme littéralement vidées de leur contenu. Je plane, je suis heureux d’avoir terminé mon programme. Une petite réussite, qui se répète et satisfait mon besoin de dépassement.

Je m’entraîne pour oublier. Le travail, les courses, les finances, les ennuis, les réparations à faire sur l’auto, dans la maison, le ménage, les enfants, les parents, la maladie, le deuil, la peur de la mort, les amours qui partent en vrille, les démons de l’enfance ou du midi, les regrets. Quand mon cœur bat plus vite et plus fort qu’un marteau-piqueur, plus rien n’existe. Je ne suis qu’un corps.

Je m’entraîne pour voir plus clair. Parce qu’après la purge, je retrouve ma route dans le dédale de mes pensées. Dans le chaos des idées qui s’empilent, l’exercice physique opère une mise en ordre et remonte le fil de mille pelotes de laine lancées au milieu de ma tête. Dans la douche, les idées affluent, les solutions se pointent. Tout semble plus clair, moins complexe. Un poids vient d’être retiré de sur mes épaules.

Je m’entraîne pour me sentir en vie. Les muscles tendus, la voix intérieure qui m’enjoint de ne pas abandonner, le vent dans le visage, la vitesse, le souffle de plus en plus court et le cœur qui bat dans ma poitrine : le sport – et particulièrement le vélo – me rappelle que je suis ici, maintenant, vivant et heureux de l’être. Je mesure ma chance de disposer d’un corps en santé, de pouvoir en profiter pour mon plaisir.

Je m’entraîne pour toutes les petites morts. La tête sur le guidon, à l’arrêt, les bras ballants, le mal de cœur, les bronches irritées, une chaleur inhabituelle irradiant du corps au complet. Je suis allé au bout de moi-même, peut-être plus loin encore. Je suis mort pour revenir à la vie. J’ai vu la lumière au bout d’un tunnel.

Je m’entraîne pour me sentir plus fort. Il y a tant de choses devant lesquelles je me sens minuscule, sur lesquelles je n’ai aucune prise ni contrôle. Mais à force de répéter les gestes, de prendre de l’assurance, de pouvoir deviner ce qui va se produire, je développe des réflexes, une puissance, une sorte d’intelligence. Je me sens moins vulnérable.

Je m’entraîne pour apprendre l’humilité. Parce qu’il y a toujours plus fort que soi. Et s’il y a plus fort, il y a aussi plus généreux, plus intelligent, plus rusé, plus talentueux. Sur le vélo comme partout ailleurs, je suis confronté à mieux. Mais je ne suis pas envieux. Je me suis trouvé des modèles, des idoles, des guides. Un nouveau chemin à suivre pour réussir.

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