J’adore la mécanique. Il y a quelque chose de tellement gratifiant dans tous les gestes que je peux faire en atelier que je ne m’en lasse pas.
Trouver la source d’un problème et le résoudre. Partir de la base, d’un cadre nu et de pièces détachées pour assembler un vélo complet, puis le remettre à son propriétaire et partager l’enthousiasme que nous ressentons tous au moment de prendre possession d’une nouvelle machine. Découvrir l’intimité d’un mécanisme, comprendre le fonctionnement d’un composant, connaître bibliquement les différences entre les générations de Shimano Ultegra 6800 et R8000, les défauts courants d’un type de freins à disque, ou simplement poser une guidoline neuve. Tous ces gestes me comblent.
L’atelier fait de moi un meilleur ambassadeur du cyclisme, un meilleur conseiller pour nos clients. En jouant sous le capot, je comprends ce qui s’y trame, je peux mieux exposer à d’éventuels acheteurs les différences entre nos produits, qui n’ont plus de secrets pour moi puisque je les ai vus dans la nudité la plus totale et que je connais chaque intime élément de leur fonctionnement.
Je ne me contente pas de répéter ce qui est écrit dans les documents de promo des compagnies dont nous tenons les produits. Je connais très exactement leur mode de fonctionnement, leurs défauts, leurs détails les plus géniaux.
C’est aussi là, dans l’atelier, que je trouve une forme d’équilibre et de tranquillité. Autant j’aime discuter de vêtements, de vélos, de café, autant j’aime le calme et la concentration que nécessite la mécanique. Comme je passe aussi beaucoup de temps devant un ordi dans ma journée, les heures où je suis seul avec mes machines sont des soupapes pour mon esprit.
Le temps file à une vitesse folle et me paraît plus léger si je suis occupé à résoudre des énigmes, à mesurer le geste afin qu’il s’approche de la perfection, à étendre sur l’établi les morceaux démontés pour identifier et remplacer ceux qui ont atteint leur date de péremption.
J’ai toujours aimé la mécanique des vélos. Même dans ses versions modernes, où s’insinuent de plus en plus l’électronique et les systèmes hydrauliques, ce sont des dispositifs relativement simples, mais fascinants. Des roulements, des engrenages, des points de contact avec le sol et le corps. Et il y a toujours chez moi ce désir de les faire fonctionner ensemble à la perfection, d’améliorer l’expérience de celle ou celui qui enfourche son vélo en alignant une série de gestes, d’ajustements, mes connaissances croissantes en la matière faisant ainsi de moi un infirmier cycliste, un accoucheur de bécanes neuves, un sauveur de cas désespérés, parfois aussi.
Je ne ressens aucun stress dans l’atelier. Je suis tout à mes patients inanimés, dont je me souviens ce que je leur ai fait dans le passé, leur carnet de santé inscrit dans ma mémoire.
La mécanique est un geste zen. Seul dans mes pensées et le moment présent, je médite des problèmes, les résous, sans ressentir de pression externe. Mon niveau de concentration atteint parfois un stade si avancé que je me perds dans mon travail, ma réflexion, et lorsque l’illumination surgit, que je trouve comment contourner un obstacle ou la source d’un ennui, la joie qui me traverse est pure, authentique, et pendant un instant, je la vis seul, souriant pour personne, fier de mon boulot.
Il m’arrive de partager ces moments avec les clients et de leur expliquer ma démarche, mais le plus souvent, je me contente de leur remettre un vélo qui leur permettra de connaître des instants de bonheur, et je me satisfais humblement de savoir quel chemin complexe j’ai parcouru pour leur procurer ce plaisir simple.