Il y a parfois des raccourcis ou des demi-vérités, voire des erreurs totales qui finissent par être admis comme des faits, simplement parce qu’ils sont entrés dans les croyances populaires et parce qu’ils sont simples, alors que la réalité est nuancée et complexe. On contribue ainsi, par paresse ou ignorance, à colporter un mensonge.
C’était le cas bien avant l’avènement des réseaux sociaux, les «fake news» propagées par les services secrets russes et l’élection d’un certain magnat de l’immobilier à la tête du plus puissant pays du monde.
En tombant sur un article du docteur Jean-Pierre de Mondenard sur le sujet, on s’est dit qu’il était justement temps de mettre fin à un des plus importants malentendus concernant l’acide lactique.
Un peu à la manière des sites qui s’appliquent à démentir les fausses nouvelles ou à déboulonner les mythes conspirationnistes, voyons ce que la science de la physiologie répond lorsqu’on lui propose quelques idées reçues sur les douleurs musculaires à l’effort.
Affirmation : Lorsque vous avez mal aux jambes à l’effort, c’est parce que vos muscles se remplissent d’acide lactique.
Vérification : C’est faux.
Comme l’expose en détail Guy Thibault, il n’existe pas une fatigue, mais plusieurs types de fatigue musculaire. Donc, même si on pouvait incriminer l’acide lactique, il serait fort peu probable qu’il soit toujours et uniquement le coupable. Comme le docteur en physiologie de l’exercice le suggère : les douleurs lors d’effort courts – sur piste par exemple – et lors d’une course d’endurance peuvent se ressembler, mais il est improbable qu’elles soient produites par la même source.
La fatigue musculaire est, en fait, plurifactorielle/multifactorielle.
Mais peu importe le genre de fatigue, l’acide lactique n’est JAMAIS en cause.
L’ennui, c’est que les explications réelles sont laborieuses, et c’est ce qui explique sans doute qu’on emprunte toujours cette image simpliste d’accumulation d’acide lactique pour expliquer ce phénomène.
C’est peut-être aussi parce que la sensation de brûlure et la lourdeur sont des symptômes qui s’associent naturellement à l’idée qu’on se fait de l’effet d’un acide, comme la sensation d’avoir les jambes «pleines» et donc pesantes.
En réalité, lors de l’effort, ce fameux acide lactique musculaire se diffuse librement dans le sang et se décompose initialement, pour se séparer en un ion de lactate et en un proton d’hydrogène. Il ne peut donc pas s’accumuler. Ni nous faire souffrir.
Affirmation : En réalité, c’est le lactate qui est le déchet produit par l’effort et qui provoque la douleur.
Vérification : Euh, pas vraiment, non.
Sans entièrement détailler ce processus très complexe, disons simplement qu’au contraire, le lactate est en bonne partie utilisé comme substrat énergétique par les muscles. Ce n’est donc pas un déchet. Au contraire, l’oxydation d’une mole de lactate libère 17 moles d’ATP (principal carburant des muscles).
D’ailleurs, certaines études montrent que les cyclistes performent mieux lorsque leur taux de lactate dans le sang est déjà élevé en début d’épreuve, d’où l’idée de faire des échauffements comprenant d’importantes intensités avant une compétition sportive qui réclame d’être performant dès le départ. C’est le cas pour un contre-la-montre, une course de cyclocross ou de vélo de montagne, où les débuts d’épreuve sont aussi éprouvants que décisifs.
Affirmation : Plus on produit de lactate, plus on aura mal aux jambes le lendemain.
Vérification : C’est encore faux.
Après une trentaine de minutes d’effort, la production de lactate se stabilise selon l’intensité. En fait, nous en produisons toujours, et c’est souvent notre capacité à en générer plus encore pendant l’effort qui explique nos meilleures performances sportives.
Les toxines non plus n’ont rien à y voir.
Quant aux douleurs pendant l’effort, elles peuvent provenir de plusieurs sources.
Entre le cerveau et les jambes, le chemin parcouru par les différents influx nerveux est aussi complexe qu’encore loin d’être entièrement cartographié. De même, les limites, les seuils et les autres concepts admis et employés à l’envi par les entraîneurs ne sont pas nécessairement tous avérés par la science, souligne Guy Thibault.
Comme l’expose Alex Hutchinson dans son excellent essai Endure, c’est probablement le cerveau qui est le principal responsable des limites du corps et de ses seuils de tolérance.
Après, il existe une multitude de subtilités dans la physiologie sportive qui méritent qu’on s’y attarde plus en profondeur et dont on sait, études à l’appui, qu’elles permettent de produire des efforts soutenus plus longs.
Par exemple, on sait que la récupération idéale, où le corps humain recycle les lactates pour nourrir les muscles avec ceux-ci, devrait se situer autour de 50-60 % du VO2 max. C’est pourquoi les protocoles d’entraînement comprennent souvent des périodes de récupération active qui ne se résument pas qu’à pédaler dans le vide, donc sans charge.
Mais plus la science se penche pour fouiller la question, plus elle en déterre de nouvelles.
La vérité, toute la vérité sur les douleurs à l’effort et la gestion des lactates, c’est qu’on commence à peine à les comprendre, et que l’entraînement répété est sans doute la meilleure manière de limiter la douleur à l’effort.
En résumé : il faut habituer votre corps à gérer l’effort et la douleur, et votre tête à les subir...