En janvier dernier, un rapport rédigé par d’éminents chercheurs internationaux (EAT-Lancet) ébranle les citoyens des pays développés en nous rappelant que, pour continuer à profiter d’une planète en santé et pleine de ressources, nous devrons modifier drastiquement nos habitudes alimentaires. La solution? Réduire au minimum notre consommation de viande et de produits animaux pour valoriser davantage les sources végétales. En septembre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) abonde dans le même sens. Si nous voulons ralentir l’augmentation du réchauffement planétaire, nous devons réduire notre production de gaz à effet de serre (GES), notamment en diminuant notre utilisation des ressources renouvelables, mais surtout en optimisant le système alimentaire, de la terre à l’assiette.
Dans cette urgence d’agir, l’alimentation végétarienne et, plus récemment, végétalienne n’aura jamais connu une aussi grande popularité. On associe à chacune de nombreuses vertus : meilleure santé, énergie accrue, économies... Certains athlètes vont même jusqu’à affirmer haut et fort que la clé de leur succès se cache derrière leur assiette 100 % végétale.
Quand on parle performance, on écoute
Dès qu’on aborde le sujet de la performance physique, l’athlète, peu importe son niveau, devient attentif. On a tous le désir profond d’être plus efficaces, et surtout d’atteindre un niveau de performance élevé. Alors que certains sont prêts à utiliser des aidants peu naturels et proscrits, d’autres recherchent la meilleure combinaison entre hygiène de vie et entraînement.
Récemment, on m’a donné comme mandat de regarder le nouveau documentaire sensationnaliste The Game Changers, diffusé sur Netflix. Il raconte l’histoire d’un athlète de combat qui, en raison d’une vilaine blessure, est contraint de se rééduquer doucement et prend alors du recul concernant ses habitudes de vie, notamment alimentaires. Il découvre alors le vaste univers du végétalisme, rencontre des spécialistes, des acteurs et d’autres athlètes, et tente de démontrer que c’est le meilleur régime alimentaire à suivre pour vivre plus longtemps, et surtout pour être plus performant, plus rapide, plus fort.
C’est le genre de documentaire qu’on voit souvent sur Netflix : devant une histoire vécue, on éprouve de l’empathie pour le pseudo-journaliste-athlète, puis on repart avec un paquet d’arguments qui abondent toujours dans le même sens. Mais où est donc l’autre côté de la médaille?
(Avant d’entrer dans le vif de la critique, je tiens à préciser que mon régime alimentaire est flexitarien, et que je n’ai aucun conflit d’intérêts à déclarer. Comme d’habitude, je tenterai de demeurer le plus objective possible.)
Liens bancals et manque de nuances
La première chose qui m’a agacée est le lien établi entre le régime alimentaire des gladiateurs grecs, qui était possiblement plus végétal que carnivore, et leur force physique. Premièrement, l’article servant à étayer cette théorie ne peut pas être présenté comme ayant une bonne validité. Mais surtout, on ne peut pas établir un lien direct entre les deux, car d’autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte, comme les conditions de vie, l’environnement extérieur, l’évolution et l’hygiène de vie à cette époque.
On nous présente également de nombreux olympiens végétaliens qui disent être au sommet de leur forme depuis qu’ils ont modifié leur alimentation. Ces affirmations sont uniquement liées à l’expérience de chacun et n’ont aucune valeur significative d’un point de vue statistique.
Il faut d’ailleurs toujours garder en tête que dans la pyramide de la performance athlétique, l’alimentation se retrouve malheureusement tout en haut. Cela signifie-t-il que je peux manger tout ce que je veux? Pas nécessairement, car la santé globale repose sur beaucoup plus de facteurs que la performance ou le poids corporel. Quelqu’un de poids normal peut en effet être en mauvaise santé s’il ne mange pas adéquatement. Il faut plutôt relativiser la croyance voulant que ce que l’on mange est responsable de notre succès. C’est plutôt la génétique et l’effort qui auront l’effet escompté. Ainsi, bien qu’une bonne alimentation ne nous fasse pas nécessairement gagner de médailles, une moins bonne alimentation à long terme pourra nuire à l’expression de notre meilleur potentiel.
Qui plus est, la plupart des articles présentés dans le film sont des études d’observation, des études prospectives ou rétrospectives. Le but de ces études est de qualifier et d’observer ce que les gens mangent pendant une longue période de temps et l’apparition ou non de maladies. Il est donc difficile d’établir des liens de causalité entre un aliment précis et l’apparition ou non de certaines maladies.
Voir plus globalement
Comment expliquer, alors, que l’athlète récemment végétalien affirme être plus rapide, moins fatigué et surtout plus performant? Il faut peut-être regarder le phénomène d’un point de vue plus large avant de généraliser et de faire des raccourcis intellectuels.
La première chose qui émerge lorsqu’on prend conscience de notre alimentation – et surtout de ce qu’on veut modifier – est tout ce qui ne fonctionne pas bien. Si, par exemple, on veut consommer plus d’aliments d’origine végétale, on accorde alors beaucoup d’importance à augmenter notre consommation de fruits et légumes, de produits céréaliers à grains entiers, de légumineuses, de bonnes sources d’huile végétale, de noix et de graines – et on s’éloigne des aliments ultra-transformés. C’est donc un changement global.
Ces aliments sont depuis des années recommandés par l’ensemble des professionnels de la santé, peu importe le régime suivi. En effet, ils apportent une bonne quantité de vitamines et minéraux, d’antioxydants, de fibres alimentaires, et ont largement prouvé leurs impacts positifs sur la santé cardiovasculaire, la réduction du poids et l’amélioration du système immunitaire. À titre indicatif, en 2013, moins de 25 % des Québécois consommaient suffisamment de fruits et légumes, tel que recommandé par le Guide alimentaire canadien (Brassard D, 2018).
Dans le documentaire, l’alimentation végétalienne est présentée comme celle qui entraînera la meilleure santé à différents points de vue. Mais il faut être attentif à la qualité globale de notre alimentation avant de faire des affirmations de causalité aussi fortes. Ainsi, dans certaines études, on peut remarquer qu’une alimentation riche en produits laitiers, comme du yogourt, serait bénéfique pour la santé du microbiote, la réduction du diabète de type 2, ainsi que pour la gestion d’un meilleur poids corporel (Fernandez & Marette, 2017). Les conclusions viennent principalement du fait que la majorité des gens qui consomment beaucoup de yogourt consomment également plus de fruits et laissent ainsi plus de place à des aliments peu transformés et riches en vitamines, minéraux et protéines.
La qualité avant tout
Comme toute nouvelle tendance alimentaire, le marketing en profite et les entreprises agroalimentaires tentent de se positionner intelligemment pour faire un maximum de profits.
Une alimentation végétalienne a le pouvoir de nous nourrir adéquatement, c’est vrai. Il y a aussi beaucoup de mythes qui l’entourent. Un végétalien ne sera pas plus anémique qu’un carnivore, et ne sera pas nécessairement carencé en plusieurs vitamines et minéraux. Par contre, si on se lance rapidement dans ce genre d’alimentation, plus restrictive et limitée, on a plus de risques d’avoir de la difficulté à bien subvenir à nos besoins.
En outre, la popularité croissante de ce régime entraîne l’apparition de nombreux produits ultra-transformés qui, seulement en employant le mot «végan», se coiffent d’une auréole santé qui peut tromper le consommateur. Un macaroni au faux-mage fait avec des pâtes blanches, sans légumes, s’avère un repas végétalien, mais n’aura pas la même qualité nutritionnelle qu’une salade de tofu au riz sauvage et légumes grillés. Ce ne sont pas les plats végétaliens qui sont santé, mais la qualité des aliments que l’on choisit. Autre exemple? Les boulettes de similiviande peuvent représenter une bonne dose d’additifs, d’agents de conservation, de sucre ajouté et de sodium.
Bref, The Game Changers utilise beaucoup de raccourcis pour nous faire croire que le végétalisme est une panacée pour les athlètes. Ce qu’il faut se rappeler, c’est que l’amélioration de la performance demande des efforts considérables, et ne se limite pas au contenu de notre assiette.
RÉFÉRENCES
Brassard D. et al. (2018). «Poor adherence to dietary guidelines among French-speaking adults in the Province of Quebec, Canada: The PREDISE Study», Canadian Journal of Cardiology, sous presse.
Fernandez, M. A., & Marette, A. (2017). «Potential health benefits of combining yogurt and fruits based on their probiotic and prebiotic properties», Advances in Nutrition, vol. 8, no 1, p. 155S-164S.