Commençons tout de suite par mettre les choses au clair : faire de la course de vélo, ce n’est vraiment, mais vraiment pas facile.
Il faut être mentalement et physiquement prêt à s’infliger une certaine douleur pendant un bon (et parfois long) moment en ayant en tête un but précis. Pour ce qui est de ce dernier, j’ai participé au Grand prix de Contrecoeur avec un seul et unique objectif : prêter main forte à mes coéquipiers, du mieux que je pouvais. Je ne me faisais pas d’illusions; mes capacités physiques, mon (in)expérience cycliste (3e année sur un vélo, 2e année en course) annonçaient bien que je ne pouvais espérer triompher lors d’une course sur route de près de 110km avec très, très peu de dénivelé positif.
En voici tout de même le récit.
Le plan de match
Les ordres du capitaine sont clairs. On DOIT avoir quelqu’un dans l’échappée pour ne pas avoir à supporter tout le poids et la responsabilité de la chasse. On enfile nos plus beaux habits et nos souliers de danse et hop! On part pour un réchauffement rapide, environ trente minutes avant le départ. On fait tourner les jambes à une intensité modérée en ajoutant quelques accélérations juste au-dessus de notre seuil de puissance fonctionnel (FTP). Comme chaque coureur de notre équipe a un vélo muni d’un capteur de puissance, cibler nos efforts est un jeu d’enfant. On se pointe à la ligne de départ, on souhaite bonne course à nos adversaires et à nos coéquipiers, on écoute religieusement le discours des organisateurs et BANG! C’est parti.
Donner son 235%
Chaque début de course donne un coup. On parle ici de 190% de mon FTP sur une durée de 5 secondes pour me mettre en selle et me donner un bon élan. L’essentiel de ces courses est assez simple : brûler des cartouches le plus efficacement possible. Se cacher du vent du mieux qu’on peut tout en restant bien positionné dans le peloton pour être prêt à appliquer le plan de match imposé par le capitaine. Quelques attaques sont portées et ramenées au cours des 30 premiers kilomètres de la course. Mes watts oscillent autour de 60% durant cette période. Par moments, je ne pédale pas et me laisse porter par l’aspiration des autres coureurs. À la sortie des virages, c’est autre chose. Il est question de relances à 200% mais ce, toujours durant de très courtes périodes de temps. Crash, crevaisons. On perd des joueurs malgré nous. Une des aubergines (voir maillot de l’équipe Vélo Cartel) vient de faire un bon effort et redescend dans le peloton. Je lève les yeux et vois qu’une échappée se forme devant et qu’aucun de nous n’y est, faisant de moi l’aubergine la plus avancée dans le peloton. Je sers les dents, ça va faire mal. Afin de rejoindre cette échappée, je développe presque 185% durant une période de 30 secondes. À l’intérieur de cet effort, je développe au-dessus de 235% de mon FTP durant 10 secondes afin de m’extirper du peloton. Ma course commence pour vrai.
L’aventure de l’échappée
Une fois l’échappée rejointe, j’ai la certitude que je ne pourrai pas rouler tellement mes jambes sont en feu. L’échappée s’organise et les coureurs commencent à passer des relais. Mon tour venu, le coureur qui doit prendre mon aspiration me dévisage, insistant du regard pour que j’embarque dans la rotation. Je lâche un rapide : « Ej’viens d’rentrer, ej’t’à bloc ». Il passe devant moi, moi qui peine à demander 60% à mes jambes. Pendant les 25 secondes que je prends pour me refaire les jambes, une main se pose dans mon dos; une autre aubergine a rejoint l’échappée. Les forces reviennent et les 13 coureurs commencent à rouler en passant de rapides relais. Je développe entre 70% et 85% lorsque je suis dans la roue d’un autre coureur. Durant les cours laps de temps où je suis devant, je développe autour de 110% avec un pic à 115% afin de me positionner devant le coureur qui vient de me passer le relais. Ce petit manège tourne durant près d’une heure et ça roule bien. Certains coureurs de l’échappée prennent moins de relais que d’autres, tout dépendant de leur condition physique et de leur stratégie. Je m’efforce d’en prendre le plus possible afin d’épargner les jambes de mon coéquipier.
Ça tire de partout!
Après une heure d’échappée, des attaques se manifestent. Je peine à couvrir celles-ci, tant la fatigue et la mauvaise gestion de mes réserves d’eau et de nourriture se font sentir. Mes jambes me crient qu’elles sont sur le point d’exploser et que si j’ai un dernier coup à donner, c’est maintenant! À ce moment de la course, demander 150% de mon FTP à mon corps me semble impensable. Vient une attaque fulgurante d’un des coureurs et je donne tout pour la couvrir, m’assurant que mon coéquipier a bel et bien suivi. Ma vue se brouille un peu et je vois les survivants de l’échappée s’éloigner, entremêlés de points noirs qui ne sont visibles que par moi. J’ai un goût de sang et de sel dans la bouche. Le peloton me rejoint, m’avale et me recrache en arrière. Ma course est finie, mon travail est fait.
J’ai droit à un coke et à une banane. Ça m’aidera à retrouver mes jambes, et la vue.