J’écris ceci au beau milieu de la «semaine sainte» des classiques flandriennes; à mi-chemin entre le Tour des Flandres et Paris-Roubaix, je suis encore sonné par les superbes victoires, tant chez les femmes que chez les hommes, dimanche, à Audenarde.
Des morceaux de courage pur. Des envolées en solitaire après des dizaines et des dizaines de kilomètres dans des conditions difficiles, au cœur de l’hostile pays des pavés, du froid de chien et de la pluie.
Malgré que je n’aie jamais passé près d’atteindre leur niveau et que le cyclisme soit pour moi un loisir, Niki Terpstra et Anna van der Breggen sont de véritables inspirations.
Depuis dimanche, j’ausculte leurs performances depuis différents angles, réarrangées par plusieurs monteurs, dans une myriade de médias et de supports. Chaque fois, c’est leur regard qui me fascine.
Buté, fixé sur un point dans le vide, habité par la rage de vaincre.
Parce que je m’y reconnais. Dans une mesure bien plus modeste, évidemment. Mais j’aime cette idée d’attaquer pour triompher, de tout donner, de laisser un morceau de soi sur le tarmac pour toucher à quelque chose d’immense, de plus grand…
Per ardua ad astra, comme dirait le poète romain. Je suis d’accord : c’est à travers les grandes difficultés qu’on parvient à atteindre les étoiles. Ce sont ces victoires grandioses qui marquent l’imaginaire. Pas celles des ratons et autres roublards du peloton.
C’est ce même esprit qui me guide dans mes entraînements et qui me permet de plonger à l’intérieur de moi-même pour y puiser une force dont, parfois, j’ignorais qu’elle s’y trouvait. Le défi n’est pas d’obtenir un contrat chez les pros ou une bourse faramineuse. Ce n’est même pas la gloire. C’est peut-être une course locale, un championnat provincial, un défi entre amis ou un simple lot d’intervalles prescrits par le coach Bruno, qui réclament une série d’attaques en solitaire dans la côte Gilmour, avec pour seuls adversaires la douleur et les chiffres qu’affiche le cadran de mon compteur.
Mais je dis cela, et je sais que l’adversaire que je tente de vaincre, dans tous ces moments, c’est le même qui taraude l’échappé(e) solitaire dans le Tour des Flandres, Paris-Roubaix, ou vers les sommets du col de Peyresourde comme du Passo dello Stelvio.
C’est sur lui que van der Breggen et Terpstra fixaient leur regard, dimanche.
Cet ennemi, c’est la voix qui chuchote que c’est trop dur, qu’il faut arrêter, que le corps n’en peut plus, que ce que je fais n’a pas de sens et que je serais sans doute mieux à boire de la bière et manger des chips qu’à me déchirer l’âme dans une montagne ou sur un rouleau.
Mais il n’y a pas de grandeur dans la banalité des petits plaisirs. Ils ont leurs qualités, mais ils sont ordinaires et ne permettent d’accéder à rien de nouveau, rien de grandiose.
L’effort qui m’amène au-delà de mes limites, lui, m’ouvre de nouvelles portes. À l’intérieur de moi-même. Lorsque je les pousse, ce qui s’y trouve n’appartient qu’à moi. C’est une victoire contre un ennemi invisible qui m’habite et tente de me convaincre que je suis faible. C’est l’indicible fierté d’avoir remporté une bataille contre soi. C’est mon intime manière de toucher aux étoiles.