Le quotidien a le don de tout aplanir. Chaque geste devient une tâche. Les privilèges, des acquis. Les jours se succédant avec leur lot de petits bonheurs et de malheurs de même échelle.
Jusqu’à ce que l’ordre des heures qui se suivent ainsi sans fléchir soit ébranlé par une force qui chasse l’inertie de la normalité.
C’est ce qui se passe en ce printemps 2020. Confinés contre notre gré. Parfois forcés au chômage. Privés de libertés qui relevaient de l’évidence, nous voilà à soupeser la valeur de ce qui constitue le sel de nos vies. Nous faisons des listes dans nos têtes. Repensons la hiérarchie de nos désirs, de nos besoins, de nos envies.
C’est maintenant plus que jamais que je me rends compte à quel point j’ai besoin de vélo.
Évidemment, à cause du mouvement, littéralement vital. Les premiers coups de pédale, dehors, ce printemps, me l’ont rappelé comme on déguste avec bonheur un premier verre de vin après des semaines d’abstinence, comme on retrouve la personne aimée au retour d’un voyage. Un geste naturel. Une sensation connue par cœur. Mais que le manque a chargée d’ardeur.
Dans la rue, les sons familiers me sont revenus comme on redécouvre le grain d’une peau, le timbre d’une voix, l’éclat d’un rire. Il y avait le vent dans les oreilles, le chuintement des pneus sur l’asphalte, le son de mon souffle, différent dans l’air froid du printemps. La tension dans les bras, dans le dos, le soleil qui me chauffe et la brise qui glace la sueur sous mon manteau.
Un retour en terrain connu mâtiné d’anxiété. Mais plus je roulais, plus je m’éloignais, rappelant à mon corps les exigences de la longue sortie, et plus mon esprit soûlé d’endorphines vibrait doucement pour mieux chasser les angoisses du moment.
Tout me revenait. Je retrouvais l’esprit libre du poids des choses, sa créativité soudainement remise en marche par le mouvement du corps. Un procédé éprouvé, rehaussé par l’injection d’air printanier dans mes poumons.
Ne manquaient que les amis, qui justement me manquent. Je les retrouverai bientôt sur la route, dans les chemins de traverse et les forêts. Fin d’une hibernation prolongée par le confinement forcé. Nous retrouverons nos droits sur le monde, la joie de filer sur la surface du globe, sur deux roues, et le plaisir de rouler ensemble avant de nous réunir autour d’un café, d’une bière.
Les beaux jours s’en viennent. J’y rêve en roulant seul dans le songe des rues désertes. Vous aussi, non?